lundi 9 janvier 2012

Triple Abracadabra


Les chiffres ne sont pas bons mais c’est la lettre qui morfle. Lettre, aile des êtres qui se retrouvent altéré. C’est la crise, serait-il indécent de vouloir prendre son envol ? Il est peut être bon de rappeler que le rêve n’est pas réserver aux autres mais est quelque chose de bien concret si on veut prendre la peine d’arrêter de s’indigner.



C’est la crise tu entends, la crise. L’heure n’est plus à l’égoïsme, le grand collectif est menacé. Si tu n’es pas sage l’ogre va venir te manger comme quand tu étais petit. Sauf que les ogres d’aujourd’hui vivent avec leurs temps. Ils ont besoin d’étiquette pour évaluer. Petit poucet = AOC, même si l’heure est à la perte du Triple AAA on sait. Il est vrai, c’est très important de savoir quoi manger, réfléchir à quelle sauce va-t-on préparer ce midi plutôt que s’inquiéter à quelle sauce on va être mangé. C’est très important de réfléchir à son alimentation en ces temps où il suffit d’allumer les informations pour savoir que les chiffres ne sont pas bons. Mais si les chiffres ne mentent pas, les chiffres ne mangent pas non plus. Alors suit mon conseil camarade lecteur : même si les carottes sont cuites et que tu cherches désespérément un moyen de retrouver un peu d’argent, ne vends surtout pas ta vaisselle. Qui sait si la personne avec qui tu ferais cette affaire, n’aurait pas de la suite dans les idées. Elle pourrait vouloir te passer à la casserole, t’avoir en garniture cadeau. Ne te soucie pas de la crise Il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre et c’est de cela dont il est ici question.


Revenons sur cette histoire de Triple A où la capacité des pays à rembourser leurs dettes est évaluée par des lettres. En voilà une information. Car savoir que c’est la crise, cela fait un moment que nous sommes au parfum. Nous suivons avec anxiété comment les tortues ninja de la finance travaillent la situation et attendons qu’elles reviennent en héros décontractés nous annoncer : « Relax ! La situation est entre de bonnes mains. Nous avons retrouvé le pizzaïolo. Pizzas pour tout le monde ! » Oui, revenons plutôt sur cette histoire de Triple A. Qu’est ce qui distingue cette nouvelle sur la crise d’une autre nouvelle sur la crise ? Réponse : la capacité qu’ont les chiffres de pouvoir changer les lettres !!! Subir la crise, sans piger par soit même comment avoir un moyen d’action directe sur elle, a au moins l’avantage de nous donner un alibi pour se poser des questions existentielles… On en citera deux pour le plaisir : Pourquoi c’est une voyelle la première lettre de l’alphabet ? Si un chiffre est inaltérable de par sa qualité de chiffre, et un deux sera toujours un deux, qu’est ce qui le relie au monde ?

Evaluation, Invocation ou Transformation ?

Ne soyons pas nu comme des vers, l’art de la formule n’a pas été perdu pour tout le monde. Dans Ali Baba et les quarante voleurs, la bonne parole permet de s’ouvrir les portes d’un trésor. Si le lecteur regarde autour de lui, il réalisera que ce conte exemplifie un phénomène fort courant : Formule de chiffres comme les formules mathématiques, formule de lettres comme une bonne punchline pour briller en société, formule d’un maître de cérémonie qui rythme ainsi une séquence temporelle. La formule distingue, la formule exclue, la formule peut provoquer le malheur ou rendre la vie meilleure comme une formule magique. La formule a ce pouvoir de transformation qui impressionne mais aussi effraie. Alors on lui préfère les formulaires. Mais elle fascine, elle attire sans que ceux qui viennent à elle, ne veulent forcément l’assumer. La formule se retrouve cachée, maquillée. Pourquoi parler ici de formule ? A la relation entre les chiffres et les lettres est beaucoup trop forte pour que la question ne se pose pas : Triple A, étiquette ou formule ?

Comme un revers au Ali Baba qui sommeille en chacun de nous, le glas qui s’abat sur les Triple A des pays européens résonne comme l’envers du conte oriental. Le trésor ou son absence provoque l’érosion de la formule. Les chiffres posent décidément problème. Ces lettres ne sont pas vraiment des lettres ce sont des étiquettes. Oui mais la relation lettre-chiffre-nous (qui sommes informés des risques sur le Triple A) est bien différente d’une simple évaluation, à la différence de la copie scolaire d’un lycéen ou, de l’audit d’une entreprise. Ce sont des jeux de miroirs et des coups à trois bandes qui se jouent. Toi on va juste te dire PAYE. Le triple A pas est peut être une étiquette mais pas seulement, tout comme « sésame ouvre toi pas » n’est pas qu’une phrase même si ça en est une. Il ne s’agit pas ici d’expliquer comment le Triple A acquiert son statue de formule magique, tout comme seul Ali Baba et les quarante voleurs savent où est la caverne mais, de prendre conscience qu’en recontextualisant le Triple A, de la sphère de l’Audit à l’espace publique, les gouvernements ne nous amènent pas qu’un bulletin note désastreux qui vaut convocation devant le principal. (Es tu vraiment scolarisé dans cet établissement mon fils, que je n’ai pas ?) Ils nous amènent une formule magique qui doit nous permettre d’échapper à la logique implacable des chiffres qui sont mauvais. Mais la magie ce n’est pas leur boulot. C’est à toi camarade de prendre conscience qu’il ne faut pas passer à côté de la magie.

Des chiffres et des spasmes : Déchiffre l’espace

Mais qu’allons nous faire ? Les chiffres s’abattent sur nous. Déjà, nous y connaissons nous vraiment en chiffre ? Peut être est ce que les chiffres sont la montagne qui cache la caverne, architecture abstraite de la crise. A trop de concentrer sur le sol que tu foules, rien de laisse transparaitre qu’un sol peut également se creuser. Si ces métaphores terrestres peuvent paraître floues, c’est pour illustrer l’écran de fumée qui s’abat sur nous. Il faut fouiner du côté magique du Triple A. Que risquons-nous ? Se voir considéré comme à côté de la plaque par des magiciens ? Ce n’est pas tomber dans la théorie du complot que d’en appeler à l’action.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit camarade ! Soit tu as des intérêts dans l’affaire et alors reconnais que tu es un magicien soit tu n’as rien à perdre et alors lance toi dans la magie. Mais arrête d’énoncer un jugement que tu crois docte et impartial. La leçon de la crise c’est d’apprendre à être coupable comme une sorcière sur son buchée est fière d’être une sorcière (et par la même occasion de pas considérer le Moyen Age comme un âge sombre). Quand s’indigner reste une réaction et, n’amène qu’à subir le sortilège, jeter un sortilège nous projette dans l’action ! S’indigner reste de la contemplation, de la contemplation jusqu’à l’asphyxie, la formule magique doit suivre ! Il faut recodifier l’espace pour qu’ils bouillonnent comme le chaudron d’un alchimiste. Ce « pour » est très important, c’est le « pour » du sort qu’on jette à l’opposé du « contre » de la réaction.

Oui, nos politiciens, économistes et scientifiques et nous-mêmes simples citoyens devraient enfin assumer la part d’irrationalité indispensable à toutes sociétés plutôt que de la snober en la reléguant dans le ghetto des utopies. Le point positif de la mondialisation n’est-il pas que l’ennemi n’est plus en face de nous mais en nous (les mouvements en ismes du XXe siècle sont ainsi en voie d’extinction sauf un dernier dinosaure, le terrorisme) ? N’est ce pas là, la leçon du triple A, nous dire d’arrêter de rejeter la faute sur des coupables extérieurs mais de renouer avec la magie. Celle-ci s’est toujours voulue pragmatique à l’opposé des utopies universalistes qui découlent des volontés d’appliquer la rationalité à l’échelle macroscopique. Et j’ajouterais pour terminer, une réponse à notre seconde question existentielle posée plus haut : les chiffres ont le monopole de l’infini et en cela ils sont en relation avec le cosmos et ainsi relié au monde. Cette dernière réflexion complète le puzzle : Derrière un Triple A qui se présente comme une étiquette évaluatrice et rationnelle se cache le refus du monde de la finance de s’assumer comme voyage cosmique quand peut être tous ces analystes financiers anonymes se voient comme les astronautes de ce début du XXIe siècle. Le cosmos est là où on l’attend le moins.

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